Lutte contre le harcèlement et mesure d’éviction d’élève : décryptage de la FSU-SNUipp

Lors de son passage au CSE, ce texte a été fortement dénoncé par la FSU-SNUipp, la FSU dans son ensemble et les autres organisations, y compris les organisations de parents d’élèves. Le texte a reçu un désaveu cinglant lors du vote: 0 “Pour”, 57 “Contre”, 4 Abstention” et 4 “Refus de vote”.

Dans la communication qui est faite par le ministère, ce décret peut sembler soulager les équipes enseignantes lorsqu’elles rencontrent de vraies difficultés au quotidien avec une situation de type harcèlement. Il peut aussi sembler satisfaire des élèves et leurs familles qui sont victimes de telles situations.

Mais dans les faits, d’une part ce dispositif est incertain juridiquement et d’autre part, même s’il était appliqué et accepté par les familles, si cela  peut sembler soulager à un instant T, cela ne fait en réalité que déplacer la problématique sans la résoudre au fond (prévention , prise en charge collective et individuelle des élèves, formation des enseignant·es…). De plus, les équipes enseignantes, et particulièrement les directeurs·trices, seront placé·es à la confluence de plusieurs insuffisances, dilemmes, voire de pressions : nécessité de mettre fin à une situation source de souffrance(s) pour toutes et tous, pression des familles voire des collectivités locales, déresponsabilisation de la hiérarchie, insuffisance des personnels en RASED et en santé scolaire … Pire, les directeurs·trices vont se trouver seul·es en première ligne avec un cadre légal tellement flou qu’il peut les exposer à de multiples conflits.

Voici détaillés quelques points qui posent problèmes :

Ce qui change dans le premier degré

C’est l’article 1er du décret qui traite de cette question pour le 1er degré par l’ajout de l’article R411-11-1 au code de l’éducation. Ce dernier introduit un nouveau dispositif à l’usage des directeurs et directrices des écoles et est censé rendre plus explicite le dispositif de changement d’école d’un élève en raison de son comportement.

  1. Suspension de l’accès à l’école pour un élève

L’alinéa 1 de l’article R411-11-1 dispose que : “Lorsque le comportement intentionnel et répété d’un élève fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d’un autre élève de l’école, le directeur d’école, après avoir réuni l’équipe éducative, met en œuvre, en associant les parents de l’élève dont le comportement est en cause, toute mesure éducative de nature à faire cesser ce comportement. Le directeur de l’école peut, à titre conservatoire, suspendre l’accès à l’établissement de l’élève dont le comportement est en cause pour une durée maximale de cinq jours.

  1. Une sémantique choisie et volontairement ambiguë
  2. “le comportement intentionnel et répété d’un élève fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d’un autre élève de l’école” pour le premier degré, le mot “harcèlement” est soigneusement évité mais la formule utilisée semble vouloir la définir. Au sein de l’école et avec les moyens disponibles en son sein, l’une des questions sera de caractériser et documenter les comportements qui relèvent de cette définition. C’est la première étape de ce dispositif.
  3. “mesure conservatoire” : en langage juridique c’est une mesure d’urgence prise par précaution. Elle ne peut avoir, ni de près, ni de loin un caractère disciplinaire. La seule justification de cette mesure ne peut se faire qu’au regard du temps nécessaire à mettre en place “les mesures éducatives”. Dans ces conditions, la durée ne saurait être définie par une autre raison et en tout état de cause elle ne peut avoir un lien avec la gravité des faits reprochés à l’enfant.

Pour asseoir sa décision, le directeur ou la directrice devra pouvoir :

  • produire tous les éléments nécessaires à rendre “vraisemblables” les faits reprochés. Il s’agira, à minima de compte-rendus d’un ou plusieurs entretiens avec les parents de l’enfant sur lequel pèse “un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé”, mais aussi avec l’élève qui “fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d’un autre élève de l’école” ainsi que ses parents.
  • justifier que la durée de suspension à ”l’accès à l’établissement” est uniquement en lien avec le temps nécessaire à mettre en place “les mesures éducatives”.

Comme toute mesure administrative, celle-ci devra être rédigée et le fond comme la forme auront une grande importance. Cette mesure pourra être contestée par recours gracieux auprès de l’auteur de la décision mais aussi par recours hiérarchique, auprès du supérieur hiérarchique (IEN, IA-DASEN, Recteur/trice, Ministre).

  • “suspendre l’accès à l’établissement” : le rédacteur s’est bien gardé d’introduire la notion “d’exclusion” qui entre dans le champ disciplinaire, pour autant cette modalité pose au moins deux problématiques qui engendrent des conflits de textes que les représentants légaux des enfants concernés auront tout loisir de contester. Même si le ministère a tenté de gommer le cadre disciplinaire de cette décision, elle porte en elle la suppression temporaire du droit à l’instruction (art. L131-1-1 et suivant du code de l’éducation). Il y a en la matière “conflit de normes” entre deux articles du code de l’éducation. Une telle décision est passible d’un recours en “référé liberté”. On peut encore s’interroger sur les moyens à disposition du directeur ou de la directrice s’il advenait qu’un élève, alors suspendu d’accès à l’établissement, s’y présentait et y entrait.
  • Une décision qui isole le directeur et la directrice

Le directeur et la directrice auront à produire un “acte administratif” bien plus complexe que ceux qui touchent à la gestion simple (admission, radiation, certificat de scolarité, …). Cet acte devra porter une argumentation qui pourra possiblement être remise en cause devant un juge. En la matière, il y a lieu d’observer que si la responsabilité de l’Etat se substitue à celle du fonctionnaire, rien n’empêchera la hiérarchie, à l’interne, d’en faire grief au fonctionnaire.

De plus, s’il ou elle :

  • utilise cette nouvelle compétence, il ou elle aura à en répondre aux yeux de tous, parents de l’élève, médias, hiérarchie, …
  • n’utilise pas cette nouvelle compétence, largement médiatisée, tout parent considérant que son enfant subit un “comportement intentionnel et répété d’un élève” faisant “peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé” ne manquera pas de la brandir. Le directeur ou la directrice devra alors justifier, y compris devant la hiérarchie, du refus de mettre en place ce dispositif. Enfin, ce dispositif va mettre aussi à mal le collectif : le directeur ou la directrice ne pouvant répondre à la demande d’un·e  enseignant.e demandant la mise en place de la “suspension de l’accès à l’école” pour un élève “perturbateur” donc faisant potentiellement peser “un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d’un ou plusieurs élèves de l’école”.

2. Déplacement d’un élève dans une autre école

Les alinéas 2 à 4 de l’article R411-11-1 disposent que :

« Si, malgré la mise en œuvre des mesures mentionnées au premier alinéa, le comportement de l’élève persiste, le directeur académique des services de l’éducation nationale, saisi par le directeur de l’école, peut demander au maire de procéder à la radiation de cet élève de l’école et à son inscription dans une autre école de la commune ou, lorsque les compétences relatives au fonctionnement des écoles publiques ont été transférées à un établissement public de coopération intercommunale, dans une école du territoire de cet établissement. Lorsque la commune ne compte qu’une seule école publique, la radiation de l’élève ne peut intervenir que si le maire d’une autre commune accepte de procéder à son inscription dans une école de cette commune.

« L’élève fait l’objet, dans sa nouvelle école, d’un suivi pédagogique et éducatif renforcé jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours.

« Lorsque le directeur d’école saisit le directeur académique des services de l’éducation nationale pour mettre en œuvre la procédure de radiation prévue au deuxième alinéa, il peut, à titre conservatoire, suspendre l’accès de l’école à l’élève pendant la durée de cette procédure.”

Les alinéas 2 et 3 apportent peu de modifications à l’existant, si ce n’est que dans la pratique, les IEN étaient plus impliqué.es et que c’étaient elles et eux qui portaient cette demande auprès de l’IA-Dasen. Désormais, c’est le directeur ou la directrice qui saisit directement l’IA-Dasen. Ce.cette dernièr.e n’a au final que peu de pouvoir, il “peut demander au maire de procéder à la radiation.. et à son inscription dans une autre école” de la commune ou à défaut d’une autre commune.

La démarche semble possiblement acceptable par les maires de communes où plusieurs écoles sont implantées, encore que leur engagement à déplacer ce type de situation d’une école vers une autre est très incertain. Quant à un changement de commune, il induit que la commune d’origine finance à la fois les frais de fonctionnement de son école et la “participation des communes aux dépenses de fonctionnement” pour la scolarisation dans la commune d’accueil. Il faut aussi que le maire de la commune d’accueil accepte l’inscription, ce qui peut nécessiter que celui de la commune d’origine argumente lui-même l’inscription de l’élève dans la commune d’accueil.

Enfin, le dernier alinéa dispose que, durant la procédure de saisine de l’IA-Dasen par le directeur et la directrice, ce ou cette dernière peut prendre la décision “à titre conservatoire” de “suspendre l’accès de l’école”. Dans cette situation, la limite de 5 jours tombe, la référence étant “pendant la durée de cette procédure”. On retrouve alors, mais de manière amplifiée, les mêmes problématiques que dans le cas d’une suspension de l’accès à l’établissement pour une durée maximale de cinq jours. En effet, la procédure qui induit un accord au sein d’une commune mais aussi entre deux maires peut prendre du temps pendant lequel l’élève verrait son droit à l’instruction bafoué, d’autant plus qu’aucun dispositif d’enseignement alternatif n’est proposé.

Si la FSU-SNUipp est pleinement engagée dans la lutte contre le harcèlement, cette réponse à des problématiques pourtant bien réelles est inacceptable.

En matière de harcèlement, il est clair que les conditions d’enseignement sont primordiales pour pouvoir prévenir. Pour cela, il faut des effectifs allégés partout, des équipes pluri professionnelles qui permettent d’avoir des regards et des actions différentes auprès des élèves, ainsi que de la formation pour l’ensemble des personnels.